Tous les Instituts Catholiques de France accueillent une chaire Jean Rodhain, reliée à la fondation éponyme, créée à la mort de Mgr Jean Rodhain, fondateur du secours catholique. A Toulouse, cette chaire est intégrée à l’équipe de recherche de l’Institut Catholique de Toulouse
Nous avons interrogé la titulaire de la chaire : Marie Christine Monnoyer pour mieux comprendre le rôle et les objectifs de cette petite équipe de chercheurs.
MM L’accent mis sur le lien entre votre équipe et la fondation laisse entendre que vos travaux, tout en étant recensés dans le cadre de l’ICT sont nourris par vos relations avec la fondation ?
MCM En créant et finançant les chaires dans tous les instituts catholiques, le conseil d’administration de la fondation souhaite favoriser le développement de recherches orientées sur la problématique de la « Caritas », et nourrir la réflexion des enseignants en théologie. La fondation insiste aussi beaucoup pour que ces travaux ne soient pas focalisés sur le champ théorique mais s’inscrivent dans des approches sur le terrain, auprès de ceux qui sont en grande difficulté.
MM, mais le recteur de l’Institut Catholique de Toulouse m’avait dit que votre groupe ne rassemblait que peu de théologiens ?
MCM Est-ce une critique ? C’est exact, notre groupe est très pluridisciplinaire et rassemble, outre des théologiens et des biblistes, un ingénieur, un juriste, des économistes, des gestionnaires, une sociologue et même une artiste… diplômée en théologie…. 4 sont ordonnés, et 7 sont laïcs. Nous nous sentons très proches de ceux qui ont collaboré à l’encyclique Rerum Novarum…..
MM Rerum Novarum nous fait remonter au 19° siècle….
MCM Mais le 21° siècle est riche de « choses nouvelles » ! Les évolutions technologiques que nous avons connues pendant les 50 dernières années ont transformé les systèmes productifs, mais aussi les relations des hommes avec leurs semblables, aussi bien sur leurs lieux de travail, dans leurs organisations sociales et au sein des familles. Si les niveaux de vie se sont améliorés sur presque toute la surface de la terre, il n’en n’est pas de même des relations humaines. Leur stabilité a été mise en cause, faisant naître de grandes fragilités.
MM La fragilité n’est –elle pas inhérente à la condition humaine ?
MCM. Notre caractère pluridisciplinaire nous a incités à réfléchir aux chemins qui mènent à la fragilité et à ceux qui conduisent à la résilience. Si vous me le permettez je vais prendre quelques exemples :
– les processus productifs ont changé du fait de l’introduction des technologies de l’information et de l’internationalisation des entreprises. Certains perdent leur emploi, d’autres doivent s’accoutumer à l’informatisation, la robotisation de leur poste de travail. D’autres enfin ne connaissent plus d’équipe de travail, mais un chef à distance et des collègues lointains. Ceci fait naître, pour certains, de véritables souffrances. Est-ce irrémédiable, peut on recréer des collectifs efficients, mais aussi enthousiasmants ?
MM et là vous vous rapprochez de « Laborem exercens »….
MCM Vous voyez la frontière est ténue…
Prenons un autre exemple
– La lecture de « Caritas in Veritate » en 2009 a interpellé notre équipe sur deux points particulièrement. Dans le paragraphe 37, Benoit 16 évoque la logique du don comme complément du fonctionnement de la logique de marché. Le don dans sa dynamique humaine, sociale, dans la construction de la production humaine. Le développement de l’économie sociale et solidaire constitue un exemple de cette orientation et ce dans des secteurs d ‘activité divers, mais le don s’insère de facto dans la plupart des activités humaines, le rendre visible permet de valoriser les actes de tous ceux qui y participent. La pluridisciplinarité de notre équipe nous a incités à aborder cette question aussi bien sur le plan psychologique, juridique qu’économique. En élargissant nos compétences ave celle des théologiens de l’Institut Catholique et d’ailleurs, des philosophes,… nous avons pu produire une rencontre et un ouvrage qui ont élargi notre regard sur le rôle du don aujourd’hui.
MM Peut-on dire que vos questions de recherche prennent leur source dans la pensée sociale chrétienne et sa mise en œuvre dans la vie contemporaine ?
MCM et inversement sans doute.. Notre travail actuel, que je prendrai comme troisième exemple, en est sans doute le témoin. Nous avons été contactés par une association d’accueil des personnes en grande difficulté, et orientée vers leur résilience. En écoutant et observant, nous avons été impressionnés par les innovations portées par cette structure et la créativité des personnes. Nous ne pouvions oublier un des passages de Caritas in veritate, reprenant Centesimus annus », « la pauvreté n’est pas à considérer comme un fardeau, mais comme une ressource » (§35). Avec nos amis du Grace[1], nous investiguons le concept d’innovation sociale dans les contextes de vulnérabilité. Notre objectif est de montrer que dans des situations de vulnérabilité très différentes, qu’il s’agisse de grande pauvreté, mais aussi de difficultés psychologiques passagères ou durables, des forces créatives peuvent être retrouvées et permettre, même si le chemin est long de rendre à la personne le goût d’être. Dans un prochain séminaire, nous construirons entre acteurs de terrain, personnes en situation de vulnérabilité, et chercheurs, des voies de développement de l’innovation sociale.
[1] Grace : groupe de réflexion d’anthropologie chrétienne et économie