Commençons par le chiffre 3 !
En 2018, 3 équipes : la chaire J.Rodhain de l’Institut catholique de Toulouse (ICT), le Groupe Amitié et Fraternité (GAF) qui accueille des personnes de la rue dans un esprit de résilience et l’IERP , centre d’études et de recherche pastorales de l’ICT, décident de mieux faire connaitre leurs activités par le biais d’un site web, intitulé GIVE 3.
3 ambitions :
Ces 3 organismes partagent une idée qu’ils déclinent en 3 points :
- La vulnérabilité est constitutive de l’espèce humaine ;
- elle est source de résilience
- elle peut conduire à des innovations sociales.
Débattre et diffuser cette idée suppose de rencontrer des structures qui :
- l’appliquent déjà
- acceptent de partager leur expérience
- s’ouvrent aux débats
Enrichir la réflexion et l’analyse implique :
- Une observation objective des expériences engagées en matière d ‘innovation sociale avec des méthodes d’analyse éprouvées
- Une lecture des travaux sur ces thèmes, la plus complète possible
- C’est à dire une démarche scientifique
Ces 3 ambitions s’ancrent dans un courant d’action et de réflexion qui s’est enrichi au cours des 30 dernières années en Europe et au Québec d’abord, puis plus récemment aux Etats-Unis. Notre ancrage territorial nous rapproche des travaux de l’équipe de F.Moulaert (université catholique de Louvain en Belgique). Notre attachement au message évangélique nous rapproche des réflexions anthropologiques du GRACE, Groupe de recherche anthropologie chrétienne et entreprise
La prégnance des situations de vulnérabilité liées aux évolutions technologiques et géopolitiques nourrit sans doute la dynamique des réflexions actuelles sur le potentiel de l’innovation sociales. Elle suppose que nous donnions tout ce que nous avons appris ensemble et que notre curiosité soit insatiable !
La chaire Jean Rodhain de l’ICT
Il y a désormais un peu plus de 40 ans disparaissait monseigneur Jean Rodhain, fondateur du Secours Catholique. Ses amis ont voulu que se poursuive sa réflexion, que se développe les projets qu’il avait initié. En créant une fondation, ils permettaient de développer dans les 6 universités catholiques françaises , une chaire d’enseignement et de recherche. Si chacune de ces chaires se fixe des programmes de travail qui dépendent des stratégies rectorales et facultaires, leur point commun est bien de réfléchir sur la problématique de la charité. Toutefois la dynamique de Jean Rodhain invite chercheurs et enseignants à entrer dans le concret de la pauvreté, de la vulnérabilité, qu’elle soit durable ou temporaire, pour construire les éléments constitutifs d’une éthique sociale.
La chaire Jean Rodhain de l’Institut catholique de Toulouse a choisi, de s’interroger sur les liens existant entre la vulnérabilité des personnes et les démarches d’innovation sociale et la gouvernance des organisations. Les difficultés du 21° siècle incitent les hommes et les femmes à reconsidérer leur attitude face à la pauvreté, à la vulnérabilité humaine. Ils deviennent porteurs de projets pour tenter de résoudre les problèmes qui affectent le plus sévèrement eux mêmes ou leur entourage. Elles incitent chercheurs et hommes d’action à s’interroger sur de nouvelles formes de vie et d’organisation. Elles poussent les plus vulnérables à se projeter dans l’action, dans la parole pour être, au delà des avoirs nécessaires.
Tous les Instituts Catholiques de France accueillent une chaire Jean Rodhain, reliée à la fondation éponyme, créée à la mort de Mgr Jean Rodhain, fondateur du secours catholique. A Toulouse, cette chaire est intégrée à l’équipe de recherche de l’Institut Catholique de Toulouse
En 2018, nous avions interrogé la titulaire de la chaire : Marie Christine Monnoyer pour mieux comprendre le rôle et les objectifs de cette petite équipe de chercheurs. Nous conservons cet échange , mais nous demanderons à la nouvelle titulaire de la chaire, Aude Bernard, de nous préciser comment en 2024, elle voit le futur de cette équipe !
MM L’accent mis sur le lien entre votre équipe et la fondation laisse entendre que vos travaux, tout en étant recensés dans le cadre de l’ICT sont nourris par vos relations avec la fondation ?
MCM En créant et finançant les chaires dans tous les instituts catholiques, le conseil d’administration de la fondation souhaite favoriser le développement de recherches orientées sur la problématique de la « Caritas », et nourrir la réflexion des enseignants en théologie. La fondation insiste aussi beaucoup pour que ces travaux ne soient pas focalisés sur le champ théorique mais s’inscrivent dans des approches sur le terrain, auprès de ceux qui sont en grande difficulté.
MM, mais le recteur de l’Institut Catholique de Toulouse m’avait dit que votre groupe ne rassemblait que peu de théologiens ?
MCM Est-ce une critique ? C’est exact, notre groupe est très pluridisciplinaire et rassemble, outre des théologiens et des biblistes, un ingénieur, un juriste, des économistes, des gestionnaires, une sociologue et même une artiste… diplômée en théologie…. 4 sont ordonnés, et 7 sont laïcs. Nous nous sentons très proches de ceux qui ont collaboré à l’encyclique Rerum Novarum…..
MM Rerum Novarum nous fait remonter au 19° siècle….
MCM Mais le 21° siècle est riche de « choses nouvelles » ! Les évolutions technologiques que nous avons connues pendant les 50 dernières années ont transformé les systèmes productifs, mais aussi les relations des hommes avec leurs semblables, aussi bien sur leurs lieux de travail, dans leurs organisations sociales et au sein des familles. Si les niveaux de vie se sont améliorés sur presque toute la surface de la terre, il n’en n’est pas de même des relations humaines. Leur stabilité a été mise en cause, faisant naître de grandes fragilités.
MM La fragilité n’est –elle pas inhérente à la condition humaine ?
MCM. Notre caractère pluridisciplinaire nous a incités à réfléchir aux chemins qui mènent à la fragilité et à ceux qui conduisent à la résilience. Si vous me le permettez je vais prendre quelques exemples :
– les processus productifs ont changé du fait de l’introduction des technologies de l’information et de l’internationalisation des entreprises. Certains perdent leur emploi, d’autres doivent s’accoutumer à l’informatisation, la robotisation de leur poste de travail. D’autres enfin ne connaissent plus d’équipe de travail, mais un chef à distance et des collègues lointains. Ceci fait naître, pour certains, de véritables souffrances. Est-ce irrémédiable, peut on recréer des collectifs efficients, mais aussi enthousiasmants ?
MM et là vous vous rapprochez de « Laborem exercens »….
MCM Vous voyez la frontière est ténue…
Prenons un autre exemple
– La lecture de « Caritas in Veritate » en 2009 a interpellé notre équipe sur deux points particulièrement. Dans le paragraphe 37, Benoit 16 évoque la logique du don comme complément du fonctionnement de la logique de marché. Le don dans sa dynamique humaine, sociale, dans la construction de la production humaine. Le développement de l’économie sociale et solidaire constitue un exemple de cette orientation et ce dans des secteurs d ‘activité divers, mais le don s’insère de facto dans la plupart des activités humaines, le rendre visible permet de valoriser les actes de tous ceux qui y participent. La pluridisciplinarité de notre équipe nous a incités à aborder cette question aussi bien sur le plan psychologique, juridique qu’économique. En élargissant nos compétences ave celle des théologiens de l’Institut Catholique et d’ailleurs, des philosophes,… nous avons pu produire une rencontre et un ouvrage qui ont élargi notre regard sur le rôle du don aujourd’hui.
MM Peut-on dire que vos questions de recherche prennent leur source dans la pensée sociale chrétienne et sa mise en œuvre dans la vie contemporaine ?
MCM et inversement sans doute.. Notre travail actuel, que je prendrai comme troisième exemple, en est sans doute le témoin. Nous avons été contactés par une association d’accueil des personnes en grande difficulté, et orientée vers leur résilience. En écoutant et observant, nous avons été impressionnés par les innovations portées par cette structure et la créativité des personnes. Nous ne pouvions oublier un des passages de Caritas in veritate, reprenant Centesimus annus », « la pauvreté n’est pas à considérer comme un fardeau, mais comme une ressource » (§35). Avec nos amis du Grace[1], nous investiguons le concept d’innovation sociale dans les contextes de vulnérabilité. Notre objectif est de montrer que dans des situations de vulnérabilité très différentes, qu’il s’agisse de grande pauvreté, mais aussi de difficultés psychologiques passagères ou durables, des forces créatives peuvent être retrouvées et permettre, même si le chemin est long de rendre à la personne le goût d’être. Dans un prochain séminaire, nous construirons entre acteurs de terrain, personnes en situation de vulnérabilité, et chercheurs, des voies de développement de l’innovation sociale.
[1] Grace : groupe de recherche anthropologie chrétienne et entreprise