Auteur de la thèse de doctorat « Mystique de l’engagement et service du bien commun. Le personnalisme de Mounier comme chemin de transcendance et ferment d’humanisation à la lumière de l’enseignement social de l’Eglise », soutenue le 2/9/ 2020 à l’Institut catholique de Toulouse. Publication chez Parole et silence le 7/9/2023.

MCM : Votre thèse paraitra en septembre 2023, soit juste trois ans après votre soutenance. Peut-on avant d’évoquer cet évènement revenir sur votre parcours ?
Xavier NGandoul : Bien sûr ! je suis né le 25 mai1966 au Sénégal et plus précisément en Casamance et c’est à dire au sud du pays, région bordée par le fleuve Casamance, d’un côté et de l’océan Atlantique de l’autre. Après l’école primaire, j’ai effectué ma formation dans les différents petits séminaires de mon diocèse et au grand séminaire de Ziguinchor en Casamance, pour la philosophie puis celui de Sébikhotane, à Dakar, pour la théologie. Ordonné prêtre le 28/12/94, et dix-sept ans plus tard, après différents ministères dont la formation des jeunes au petit séminaire et une belle expérience en paroisse, ce fut le chemin de l’université catholique d’Abidjan en Côte d’Ivoire pour obtenir un master en théologie morale. L’objectif visé, selon les termes de l’évêque, c’était pour « pour la formation au séminaire ». Après Abidjan, je pensais rentrer au pays, mais mon évêque m’a demandé, ce qui m’a surpris, de partir en France, à la faculté de théologie de l’Institut catholique de Toulouse pour préparer une thèse en théologie morale. Pourquoi lui ai-je répondu ? Vas-y. On ne sait jamais … à été sa réponse. Je suis donc arrivé à Toulouse et plus précisément à Castelnaudary pour y seconder l’équipe pastorale pendant 4 années et préparer une thèse.
MCM : et pourquoi à ce moment-là choisir de travailler sur l’œuvre d’Emmanuel Mounier ce jeune philosophe laïc, fondateur de la revue Esprit en 1932, mort à 45 ans en 1950 et un peu oublié ….
Xavier NGandoul : En fait … au départ, j’envisageais de travailler sur les écrits d’un théologien congolais, Ka Mana, très versé sur les questions africaines. Mais le vice-recteur de l’ICT m’a suggéré de préparer une réflexion plus en phase avec les préoccupations de la jeunesse d’aujourd’hui et donc des besoins de l’ICT. Les discussions avec mon directeur spirituel m’ont conduit à me pencher sur l’œuvre de Mounier et le personnalisme. Ce qui a déterminé le choix reste assez confus dans ma tête !.
J’étais alors en service commandé ! le travail bibliographique fut difficile ! il y avait très peu de documents sur Mounier à la bibliothèque de l’ICT, à part les travaux d’Emmanuel PIC, un prêtre diplômé en psychologie, proche des Foccolari.
Et c’est au village du livre à Montolieu que j’ai trouvé mes premiers ouvrages d’E. Mounier et le reste sur internet après d’après investigations ça et là.
Mais petit à petit, avec encouragements de mon directeur de thèse, les lectures m’ont enthousiasmé et ce travail de thèse à transformé ma vision de l’engagement que j’ai pu partager avec l’équipe de la chaire Rodhain de l’ICT !
MCM : Vous êtes maintenant directeur du séminaire mineur, Notre Dame de Ziguinchor et professeur de morale au grand séminaire de Brin …. Considérez-vous que la pensée d’E. Mounier puisse constituer une référence pour ceux qui pensent à prendre des engagements religieux aujourd’hui ?
Xavier NGandoul : Forcément ! J’enseigne désormais au grand séminaire en cycle de philosophie et je suis très centré sur la question de l’ambiance personnaliste en théologie comme en philosophie. Je suis aussi chargé de la formation continue des jeunes prêtres. Avec un jeune spécialiste d’anthropologie, nous travaillons à cerner la conception africaine de la personne humaine et pour cela la pensée d’E. Mounier est un vrai secours.
Nous travaillons aussi sur la question des engagements laïcs. Le personnalisme de Mounier se préoccupe de toute l’activité humaine et permet de faire une nouvelle lecture de l’engagement dans Vatican 2 et dans Gaudium et Spes… C’est la source d’une nouvelle dynamique de la mission du laïc dans le monde de ce temps. La vision de E. Mounier sur la dynamique personnaliste d’une chrétienté engagée a été, à mon sens, prophète ; car la question du laïcat est opportune et essentielle dans la pastorale de l’Eglise aujourd’hui. Il n’est plus possible d’ignorer, d’étouffer ou de mettre entre parenthèse la mission du laïc dans l’Église. La personne humaine doit être mise debout par le pasteur, et pour ce faire, on ne peut se passer des compétences laïques … sinon on s’enferme dans un ghetto sans issue.
MCM : Y a-t-il un lien entre E. Mounier et votre pays de résidence ?
Xavier NGandoul : E. Mounier est un ami du Sénégal, de la première élite politique du Sénégal et tout particulièrement de Léopold.S Senghor qui était un chrétien pratiquant et de son premier ministre, des débuts des indépendances, Mamadou Dia.
Mounier lui-même, a manifesté un intérêt pour l’Afrique, quand il sillonna une grande partie de l’Afrique occidentale, dont le Sénégal. Cette visite fut couronnée d’un livre, « l’éveil de l’Afrique », où il envisage une reconstitution de l’intégrité personnaliste de tant de peuples blessés par les maladresses de l’histoire de l’humanité.
Par ailleurs, dans le cercle des influences personnalistes de Mounier sur l’échiquier de quelques intellectuels sénégalais, émerge Alioune Diop, musulman converti, disciple de Mounier de toute évidence. Il fonda, sous inspiration de son compagnonnage avec Mounier, une revue, « Présence chrétienne », très proche de la revue Esprit fondée par E. Mounier.
Très engagé au niveau africain et mondial, Alioune Diop a été présent sur plusieurs tribunes internationales, notamment à la conférence de Bandung et il a marqué de sa présence avisée la délégation africaine au concile Vatican 2.
MCM : La rédaction de votre thèse vous a occupé pendant 5 ans. Qu’attendez-vous de la publication de votre thèse ?
Xavier NGandoul : Que cela puisse servir à l’ICT et à d’autres ! La question de la vulnérabilité des personnes est un sujet d’envergure. La précarité n’est pas une tare incurable, mais sa prise en charge suppose des engagements, tant des accompagnants que de la personne en précarité : la subsidiarité est essentielle dans le processus du développent intégral de la personne humaine ! Le bien commun n’est pas une question obsolète, il est au cœur de la Doctrine Sociale de l’Église.
C’est cette dynamique que je voudrais imprimer partout où j’en aurai l’occasion, notamment au séminaire, pour que les jeunes prêtres se mettent en marche dans la voie d’une mystique de l’engagement en vue d’un développement local effectif qui prenne en compte la dignité de chaque personne. Il convient de mieux ajuster le système scolaire. Nous pensons qu’il n’est pas suffisamment orienté vers le développement de nos peuples. Pour l’instant, l’immense majorité doit se débrouiller dans l’informel toute la vie pour survivre.
MCM : merci de cet échange et souhaitons ensemble que votre travail, qui a été récompensé par la mention Summa cum laude par un jury de spécialistes de la pensée d’E.Mounier, à savoir Tanguy Marie Pouliquen, Cyprien Comte, Jean François Petit, et Daniel Vigne, fasse mieux connaître la pensée de ce jeune et fougueux théologien, friand de philosophie, aux nombreux jeunes qui souhaitent donner du sens à leurs engagements personnels et professionnels.