Préface de Tanguy Marie Pouliquen, professeur d’éthique à l’ICT, membre de la chaire Jean Rodhain
Dans un article paru dans le journal Le Figaro du 29 septembre 2022, le philosophe agnostique et ancien ministre de l’éducation en France, Luc Ferry, présentait trois philosophies antinomiques de la fin de vie.
La première, chrétienne, s’attache pour lui à situer l’enjeu de la fin de vie comme le temps favorable pour se préparer non pas à la mort mais à l’au-delà de la mort. La maladie se présentant selon le Catéchisme de l’Eglise Catholique comme une occasion favorable pour « rendre la personne plus mûre, l’aider à discerner dans sa vie ce qui n’est pas l’essentiel pour se tourner vers ce qui l’est. Très souvent la maladie provoque une recherche de Dieu, un retour à lui ».
La seconde, « à l’opposé », pour l’ancien ministre désormais chroniqueur, la théologie, puise à l’eudémonisme des anciens qui subordonnent le sens de l’existence à la dimension subjective du bonheur et dans une perspective moderne utilitariste au calcul des plaisirs. Stoïciens ou épicuriens, pour eux, si les peines l’emportent radicalement sur les joies, libre à la personne d’en tirer les conséquences, perspective qui a fait dire à Sénèque qu’il était « aussi grave d’empêcher quelqu’un de mourir que de le tuer ».
La troisième philosophie de fin de vie se présente comme humaniste et laïque, telle est la posture personnelle de Ferry, récusant l’assimilation entre les notions de « dépendance » et « d’indignité », mais ouvrant sur la nécessaire qualité du lien social en fin de vie. Citant le célèbre bioéthicien Axel Kahn, s’ouvre une invitation à satisfaire la demande d’amour du malade : « Si vous voulez déterminer dans quelle mesure des personnes âgées ont réellement le désir d’en finir en fin de vie, il suffit de leur apporter le contact amical d’un parent cher et tendre : bien souvent, ces témoins affectifs suffisent à redonner à ces personnes le sentiment précieux qu’elles comptent au moins pour quelqu’un ».

Ces approches sont-elles réellement antinomiques ? La pensée catholique sur la fin de vie puise à des ressorts de sens qui refusent les approches monolithiques en raison de présupposés anthropologiques bien assumés. Servir la personne dans son intégralité, corps, âme, esprit et relation. Le livre proposé au lecteur, Mourir dans la dignité, toi, qu’en dis-tu ? fruit d’études philosophiques et théologiques sérieuses, s’inscrit dans cette riche perspective qui fait droit au dialogue et à la complémentarité des points de vue.
La personne a certes un corps mais elle « est » aussi son corps. Le respect de son corps « donné » jusqu’au bout s’identifie au respect de sa personne. La somme des petits gestes pour alléger ses souffrances vont dans ce sens. La qualité contemplative du regard sur ce corps offert à l’existence pour bien vivre, aide à discerner tant le refus de l’acharnement thérapeutique que le non-sens de l’euthanasie ou du suicide assisté. Un geste d’amour, une main serrée, un regard complice, valent tellement plus que la croyance des « anges de la mort » qui veulent « vous aimer en vous tuant ! » Accompagner la personne vulnérable en phase terminale, accueillie, regardée, aimée comme toujours « unique », avec un avenir possible au-delà de la mort physique, sera la pierre d’angle d’une posture thérapeutique raisonnable.
L’accent mis par la tradition chrétienne sur les soins palliatifs va directement dans cette direction, faisant de l’écoute du patient le sanctuaire ouvert de ses derniers moments à vivre sur la terre. Une proximité significative de la profondeur éthique quand la solidarité entre les humains s’élargit à la faiblesse partagée. L’intégrité du corps, même dans sa vulnérabilité croissante, est la ligne de mire constante des soins mais aussi des relations. La religion n’est pas en reste de ce chemin à parcourir ensemble. Un regard de foi puisant à l’action du Christ, « mort et ressuscité », approfondit le sens salvifique de la souffrance, confirmant que la personne, totalité unifiée, peut toujours se trouver elle-même en se donnant. A qui ? Elle se présente face au Dieu d’Amour qui lui ouvre son cœur pour l’accueillir dans un devenir réel de proximité spirituelle sans fin. La fin de vie est toujours un commencement à vivre. La vie humaine peut être transfigurée par le haut. Non que la souffrance ait une valeur thérapeutique, mais qu’elle ne peut nous imposer son impasse.
Une posture de vie à vivre se dégage d’une vraie liberté. Non pas une liberté absolue au service d’une dignité relative, qui légitimerait les « nouveaux » droits d’euthanasie ou de suicide assisté. Plutôt une liberté relative au service d’une dignité absolue, qui fait du respect de la vie « un bien commun à défendre » ensemble, pour tous. Une thérapie de la dignité permet d’allier le travail sur soi pour se « préparer », la quête de sens toujours « ouverte », et la « qualité du lien », dynamique de Vie qui s’approfondira dans la vie éternelle, dont nous vivons, dès maintenant, le premier instant ! On n’hésitera pas à renverser le titre de l’introduction. C’est au nom d’une si belle dignité humaine que nous ne voulons jamais tuer, mais faire entrer dans la Vie qui elle n’a pas de fin.
Nous remercions le père Akpedjé Patrick-Euloge Panou de nous introduire très pédagogiquement à toutes ces dimensions.